Amen !
Il n’y a plus qu’à dire : AMEN !
Vous connaissez cette expression : elle signifie le dépit de celui qu’on a mis devant le fait accompli, et qui se trouve plus ou moins contraint d’approuver publiquement tout ce qui s’est fait sans lui. Hélas cette expression n’a pu naître que de la liturgie et cela donne une idée bien frustrante de la participation active des fidèles réunis pour célébrer la gloire de Dieu, qu’ils soient prêtres ou laïcs d’ailleurs.
Tâchons donc d’y voir de plus près. Lorsqu’un enfant vient au monde, il crie. C’est notre premier Amen ! II est salué par la joie de tous ceux qui entourent le nouveau né, lui qui, ayant tout reçu, affirme son existence indépendante en assumant sa vie. Si je prends cet exemple, c’est parce que tout au long de notre existence, nous serons amenés à ratifier ou à renier notre vie, à lui dire oui ou à lui dire non, notre liberté se forgeant dans ces Amen ou ces refus qui tracent et infléchissent notre destin.
La célébration liturgique, dans la célébration des sacrements ou la Louange des Heures, est ce lieu de vie où résonne la Parole de Dieu : «Choisis donc la vie ! » Dire « Amen » est un engagement dans ce sens et ce chant rejoint l’autre cri essentiel à la prière chrétienne « Abba ! Père ». L’Amen et l’Abba sont le B.A.Ba de toute liturgie. Nous prendrons le temps de détailler tous les moments où nous vivons ces deux mots, mais n’attendez pas que je fasse le travail : commencez et vous ne serez pas déçus !
Laissez-nous dire AMEN !
L’Eucharistie commence par le signe de la croix. Ce geste appris dès notre enfance chrétienne, cette première leçon pour les catéchumènes, ce condensé de la foi qui joint le geste à la parole, qui inscrit la Trinité dans le dessein de la croix, qui marque notre corps: on ne peut ni mieux dire, ni mieux faire pour glorifier Dieu.
Alors, à vous, nos frères célébrants, de provoquer l’Amen de votre assemblée, de nous lancer ainsi, dans le grand dialogue de la messe qui s’instaure. A tout prendre, mieux vaut un silence plutôt qu’une seule personne faisant les demandes et les réponses !
Si le prêtre dit tout, l’assemblée sera de plus en plus convaincue d’être spectatrice et auditrice d’un rite qui lui est étranger, face à un homme « qui sait » et n’a pas besoin de son adhésion de foi. Quant à nous, les fidèles, préparons notre réponse, non comme un réflexe automatique, mais comme une signature donnée en bas de page, un engagement personnel et fort. N’imposons pas à notre prêtre, une présence passive, voire critique face à celui qui célèbre, alors que l’Eglise, dans ce geste commun, fait face à son Dieu. Le Père Gélineau, pour cette raison, conseillait à l’assemblée et au prêtre, de vivre ce premier acte liturgique, tournés vers la croix et non face à face, quand l’espace liturgique le permet. Mais revenons au signe de croix :
Croix et Force salutaire
Divin signe, je t’inscris
Sur mon corps au nom du Père
Du Fils et du Saint Esprit. AMEN !
Nous sommes pécheurs : Oui, Amen !
Continuons notre chemin d’Amen au long de l’Eucharistie. Après le signe de croix que nous avons salué par un vibrant « Amen », vient la préparation pénitentielle. Un petit détour par le premier chapitre de l’Apocalypse de St Jean va nous permettre de comprendre comment la louange et le repentir s’articulent dans notre rencontre avec le Christ. Jean (le célébrant) s’adresse ainsi à l’assemblée :
« A lui qui nous aime et nous délie de nos fautes dans son sang (...), à lui la gloire pour l’éternité : AMEN. Voici il vient sur les nuées, tout homme le verra, même ceux qui l’ont transpercé ; Elles se frapperont la poitrine en le voyant, toutes les tribus de la terre : OUI AMEN (Ap.1-6/7) »
Toute célébration est rencontre du Christ, c’est lui qui fait toujours le premier pas. Nous ne demandons pas pardon comme on s’essuie les pieds, avant d’entrer, afin d’être moins indignes de célébrer Dieu; Nous voyons dans notre coeur, le Christ crucifié, qui est ressuscité, et nous comprenons que nous l’avons crucifié, Lui qui désormais intercède pour nous auprès du Père : « Père pardonne-leur ».
Notre AMEN ne va pas se précipiter : après un dialogue entre nous et le célébrant : « nous avons péché contre toi » ou le « je confesse à Dieu » ou les « prends pitié de nous », viendra la prière pour le pardon et c’est à elle que nous offrirons notre adhésion joyeuse, sûrs d’être exaucés. Que Dieu tout puissant nous fasse miséricorde, qu’il nous pardonne nos péchés et nous conduise à la vie éternelle. AMEN !
Par Jésus, le Christ, Notre Seigneur
Bien sûr, c’est une formule qui provoque notre Amen, que ce soit elle ou la formule plus longue: « Par Jésus Christ, ton Fils, Notre Seigneur et notre Dieu, qui règne avec toi et le Saint Esprit, maintenant et pour les siècles des siècles », mais il est bon de réaliser toute la profondeur de sens recueillie dans ces quelques mots, qui viennent conclure nos oraisons.
L’Eglise a si bien pris au sérieux la Parole du Christ dans l’Evangile de Jean qu’elle ne se permet pas d’adresser la parole au Père autrement qu’en passant par son Fils Jésus.
« En ce jour là ce n'est plus moi que vous prierez. Amen, Amen, je vous le dis: ce que vous demanderez au Père il vous le donnera en mon nom. Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom. Demandez et vous recevrez afin que votre joie soit en plénitude. » Jn 16/23-24
Cet usage liturgique auquel nous sommes habitués peut donc être renouvelé dans notre coeur par le « nul ne va au Père que par moi ». affirmé par Jésus et permettre à notre prière de devenir vraiment trinitaire. Notre Dieu n’est pas un Inconnu Tout Puissant, c’est le Père et nous lui parlons en son Fils au point de devenir ses fils en lui. « Voyez quel grand amour nous a donné le Père! » Le chemin de la prière c’est le Fils, le but de la prière, c’est le Père, à cela nous disons notre AMEN!
Les Amen qui s’enchantent
En hébreu, le mot "adorer" n'existe pas mais on dit "s'étendre à terre" ; cela peut nous faire découvrir que notre esprit aura d'autant plus de chance d'être en prière que notre corps lui aura tracé le chemin.
Si le psaume 95 nous y invite : "Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a faits" il faut bien reconnaître que nous faisons rarement ce que nous chantons là et c'est dommage.
Les Amen se suivent et ne se ressemblent pas. Ceux que nous envisageons à présent sont les deux préférés des musiciens, ceux qui viennent couronner le « gloria » et le « credo ».
A la différence de tous les autres ils ne s’inscrivent pas dans un dialogue car l’assemblée entière chante ces deux textes et se dit donc à elle-même : « Amen » ! Les historiens de la liturgie nous apprennent que les deux « amens » sont tardifs, une forme d’habitude passée dans les célébrations, toute cette expression est aimée de l’Eglise. En écoutant la « messe en si » de Bach ou tant d’autres chef d’œuvres de musique tant classique que contemporaine, on réalise que le mot « amen » devient un « ah » immense qui déborde et pourrait durer une éternité.
On peut se souvenir, pour l’expliquer, des deux significations de l’Amen, le sens hébraïque qui insiste sur la fermeté, la certitude, la force : « c’est ainsi » et le sens donné par la traduction grecque de la Bible qui est un souhait: « qu’il en soit ainsi! » d’où notre « ainsi soit-il », concluant jadis nos « notre Père » et nos « je vous salue Marie ».
Ces deux sens qui ne s’excluent pas lui donnent une grande force affirmation et souhait, joie du « déjà » et du « pas encore » qui permettent une ouverture à l’infini. L’Amen, se présente ici comme supérieur à tout ce qui a été dit précédemment, car la prière sera toujours balbutiement face à notre grand Dieu et Sauveur. St Augustin ose dire qu’il est, avec Alléluia, digne de rester dans la langue du paradis et qu’il ne passera pas: personnellement, je le crois bien volontiers et je souhaite qu’il demeure face à Dieu avec toutes les musiques qu’il a inspirées...... Ainsi soit il !
Pareil à un coup de tonnerre venant du ciel…
Commençons par ce témoignage de St Jérôme (+419) dans son éloge de la foi du peuple romain.
« Où courons nous pleins d’ardeur et d'assiduité aux églises et aux tombeaux des martyrs, sinon à Rome ? Ce n’est pas que les Romains ont une autre foi - ils ont celle que toutes les Eglises du Christ proclament - mais la différence vient de ce que chez eux, la dévotion est plus grande et plus grande aussi la simplicité dans la foi.»
Si les Romains étaient tels que Jérôme nous les dépeint, au point de nous rendre jaloux (je l’espère bien), c’est que leurs pasteurs savaient aussi sensibiliser les fidèles sur l’importance de l’adhésion consciente et responsable de toute l’assemblée à la voix représentative de son président.
L’Amen de Pentecôte dont il s’agit ici est celui qui conclut la doxologie finale de la prière eucharistique, ce joyau de musicalité et de rythme :
Par lui, avec lui et en lui,
à toi, Dieu le Père tout puissant
dans l’unité du Saint Esprit
tout honneur et toute gloire,
pour les siècles des siècles…
Nous sommes ici sollicités par le prêtre qui attend notre adhésion comme un apport indispensable à la célébration. En effet, nous dit St Augustin, dire Amen, c’est comme signer un document, un acte notarial, par exemple, demeure sans valeur tant qu’il n’est pas signé par l’intéressé qui le valide. La signature de l’acte par la personne concernée revêt un plus grand caractère de solennité que la simple rédaction par le notaire !
Voici un autre témoignage ancien d’un anonyme du IVème siècle :
« La confirmation de la pièce s’accomplit par ceux qui répondent « Amen » de manière que tout ce qui a été dit soit confirmé par le témoignage de ce qui est vrai dans l’esprit des auditeurs . »
Alors prenez votre souffle et chantez AMEN, à plein poumon !
Le corps du Christ, Amen !
Peut-être avez-vous été surpris comme moi, lorsque vous êtes témoins d’un baptême, par l’insistance du rituel qui, au moment où les parents apportent leur enfant sur la cuve baptismale, reprend la question, dont la réponse est vraiment évidente :
« Voulez-vous que votre enfant soit baptisé ? »
Nous avons là une preuve du souci de l’Eglise face à notre liberté, indispensable à la réception d’un sacrement.
Notre dialogue avec le prêtre est considéré comme nécessaire et l’on ne peut alors se contenter de l’implicite.
Qu’en est-il de la communion au corps et au sang du Christ ?
Depuis Vatican II, la formule de communion aux fidèles a été modifiée et simplifiée. Elle a le privilège de la plus haute antiquité, c’est une affirmation par le prêtre de sa foi eucharistique : « le corps du Christ ! » à laquelle répond l’affirmation du fidèle qui répond qu’il en est bien ainsi « Amen » !
Les constitutions apostoliques, St Ambroise, St Augustin, St Cyrille de Jérusalem attestent ce rite et le commentent. L’avons-nous bien compris et bien reçu ? Lorsque le prêtre nous « donne le Bon Dieu sans confession », je veux dire lorsqu’il ne nous donne pas le temps de proclamer notre foi, condition indispensable pour recevoir en notre main « dignement » l’hostie consacrée, la démarche perd de sa force et gomme une part de l’engagement personnel. Ainsi pourrait-on envisager que le prêtre garde dans sa main l’hostie, si le fidèle ne répond rien. La valeur de ce dialogue s’inscrit aussi dans l’échange du regard, ce qui manque trop souvent là aussi ; quand dans le sacrement de mariage on se dit « oui » je pense qu’on se regarde, or justement dans la communion au Christ, nous recevons du prêtre notre Dieu et Seigneur : n’est- ce pas le temps de la gratitude pour lui et aussi de la connivence profonde qui nous lie dans l’adoration du Christ ?
Ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile, nous le donnons et le recevons en sachant bien que cette incomparable présence reconnue par notre foi, appartient à Dieu et ne vient pas de nous, qu’il en soit ainsi !